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Arts & Mots
7 septembre 2015

Revue N°2 : la forêt

L’avenir est tellement radieux…
Un tournage en Brocéliande ou la quête du Saint Growl.

Sylvain Bresson - Illustration Article

« L’avenir est tellement radieux… que je dois porter des lunettes noires. » est la première fiction produite par la société Beignonnaise « Le petit remorqueur».  Un titre à rallonge que l’on espère prémonitoire, annonciateur d’un court-métrage au long cours, atypique, ambitieux et définitivement pas comme les autres au regard des péripéties de sa production.

Au commencement il y a Dick, Dick Traverse, personnage principal de cette histoire créée par Julien Eon, un Guérois pure souche parti s’exiler à Paris il y a des lustres pour faire de la musique et du cinéma. Dick Traverse, interprété par Patrick Albenque dans le film, est un manageur de rock désenchanté, organisateur de concerts un peu miteux. Son destin bascule à l’instant où le van qu’il conduit pour un groupe de black métal norvégien, franchit le seuil de la légendaire forêt de Brocéliande. Julien a écrit ce road-movie, qui bascule progressivement dans le fantastique, fin 2011 à une époque où il avait un peu tourné le dos au petit monde merveilleux du cinéma français. Mais, quelques années plus tôt, à Paname, lieu de rencontres les plus improbables, le Guérois au blouson de cuir a rencontré un Beignonnais à la barbe florissante (qui n’est autre que ma pomme). Les deux lascars sympathisent tout de suite et se jurent qu’un jour ils feront un film ensemble… la promesse d’un avenir qu’ils espèrent radieux… et qui finira par voir le jour à la fin du mois de mai 2014. En ce début 2012, au moment où "Le petit remorqueur" largue ses amarres pour la première fois, le chemin qui mène à la forêt promise est encore loin.  Avec Raphaël d’Aboville comme fidèle associé, nous devons dans un premier temps partir à l’abordage pour trouver le financement nécessaire à la concrétisation de ce projet Don Quichottien.
3P9A3398Un premier soutien et non des moindres, vient de la région Bretagne avec un jury dithyrambique qui salue le scénario pour son impertinence mais qui malgré tout s’ inquiète un peu de l’ampleur du défi que nous voulons relever. Guer Communauté, La communauté de communes de Brocéliande, la MJC de Guer nous font tour à tour confiance et nous permettent enfin de nous jeter à l’eau. Le groupe TSF, l’un des plus gros prestataires du cinéma français, est
aussi séduit par notre quête et nous permet de nous procurer l’une des meilleures caméras du moment 
et de remplir un camion de 30m3 de matériel électrique et de machinerie.
Le film nécessite plus d’un an de préparation. Repérages, casting comédiens, création de décors, de costumes, d’accessoires, une préparation minutieuse pour une opération système D de tous les instants sans quoi le projet aurait coûté dix fois plus cher. L’équipage comptera pas moins de quarante unités, Bretons ou Parisiens, débutants ou techniciens chevronnés, tous à la fois motivés et emballés par l’originalité du script et conscients qu’une belle aventure les attend.
Le 28 mai 2014 à 4h du matin, Erika Urien et Elodie Struillou les maquilleuses ainsi que Marthe Dumas la costumière sont déjà à l’ouvrage pour le premier des huit jours du tournage.  La première séquence que nous devons tourner doit avoir lieu au lever du soleil au sommet du Val sans Retour. Ce n’est pas la première scène du film mais Charlotte de Givry,  la première assistante réalisatrice a défini le plan de travail en fonction des autorisations que nous avons pour les décors. Pour atteindre celui-ci, il faut gravir un chemin cabossé de plus de 800 mètres. Un premier repérage a lieu dans la nuit pour savoir jusqu’où pourra monter le pick-up que nous a prêté un ami agriculteur. L’engin, qui à priori en a vu d’autres, nous permet de transporter inlassablement le matériel, l’équipe technique, 3 comédiens et une dizaine de figurants. Le lever de soleil est magnifique et la première séquence réussie. La journée se poursuit avec une nouvelle scène à proximité du rocher des faux amants. Tout se goupille à merveille hormis une belle averse, les ULMS de Loyat qui jouent  les oiseaux de mauvais augure et l’un des pneus du pick-up  qui se fendille dangereusement au contact du schiste de la route rocailleuse.
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Le second jour de tournage est consacré aux intérieurs cabane, décor reconstitué dans la maison de nos supers décorateurs Alex Poulingue et Isa Caron dans le village de la Saudraie près de Mauron. Initialement prévu dans une vraie cabane en pleine forêt, nous avons préféré renoncer pour des raisons techniques, seuls les plans extérieurs étant conservés. La pluie qui tombe sans discontinuer ce jour-là nous donne raison d’avoir opté pour le tournage entre 1426700_675835375821355_5626205255952174649_nquatre murs. Comme la veille, la fée et le druide interprétés respectivement par Maryne Bertiaux et Christian Mazzuchini donnent la réplique à Dick. Jeanne Scharff, la régisseuse générale et son équipe bloquent les routes avoisinantes pendant les prises pour éviter que les allées et venues des voitures ne perturbent le son. Les heures défilent à grande vitesse si bien que le borgnolage des fenêtres, prévu pour faire un effet nuit, devient presque inutile, le soleil se couchant pour de vrai. Pour alimenter les projecteurs en électricité, nous utilisons 2 groupes électrogènes sans quoi le hameau tout entier disjoncterait. A 22 heures, l’un d’eux décide de s’arrêter. Des bidons d’essence ont été intervertis et son réservoir habitué au sans plomb n’a pas supporté le gasoil. La panique commence à nous gagner quand on comprend qu’il faudrait le purger. Par chance, Alex se souvient que l’un de ses voisins est mécano. Notre bon samaritain nous porte rapidement secours. Le dernier plan est finalement dans la boîte à 4 heures du matin. Nous quittons les lieux quand tout le matériel est remballé au petit matin. 
Heureusement, les deux jours de tournage suivants sont prévus de nuit, la majeure partie de l’équipe va pouvoir ainsi se reposer un peu. Mais pour réussir à filmer tous les plans du découpage technique, quelques francs-tireurs partent les après-midi pour faire des plans de transitions de quatre voies et de forêt. Nous réussissons à prendre un splendide coucher de soleil magnifié par la présence de notre acteur principal qui a failli s’électrocuter quelques  instants auparavant en voulant se faufiler entre les fils électriques d’une clôture.  En fin d’après-midi l’équipe d’électriciens et de machinistes, dirigée de main de maître par le directeur de la photographie Xavier Dolléans, installe le dispositif lumière pour recréer une ambiance clair de lune autour du majestueux Hêtre des Voyageurs. Un groupe électrogène très puissant a été installé la veille par camion à une centaine de mètres du décor3P9A3344 principal, l’engin faisant le bruit d’un tracteur et donc risquant d’interférer avec le son. Pour récréer  la  lune,  un  projecteur  HMI  de  6 KW a été placé dans une nacelle haute de 15 mètres. Cette dernière étant positionnée sur le bord de la route, nous avons l’obligation de placer des panneaux de signalisation de part et d’autre de la chaussée. L’humidité se fait rapidement sentir à la tombée de la nuit et un projecteur, puis deux puis trois nous lâchent tour à tour. Lilian, l’un des machinistes voit son pied bloqué par une souche de bois et se fait une entorse. Les korrigans ne se joueraient-ils pas de nous ? Ne serions-nous pas en train de faire un remake du film de Terry Gilliam « Lost in la Mancha » et son tournage cauchemardesque ? On préfère s’en amuser et rebaptisons temporairement notre film « Lost in la Bretagna » comme pour conjurer le mauvais sort.  La maman de Mika le cuistot soigne le machino avec une IMG_8202mixture locale, tellement bien qu’il court presque le lendemain. Avec la perte de plusieurs projecteurs, notre zone de tournage s’est considérablement rétrécie. Nous parvenons malgré tout à boucler in extremis les séquences clés du film en deux nuits, les derniers plans étant tournés avec la hantise de voir poindre les premiers rayons de soleil. Nous sommes à mi-parcours et une journée de repos bien méritée nous attend. Mais avec la rosée du matin, la nacelle s’est légèrement affaissée. Elle s’est mise en sécurité et on ne parvient plus à la déplacer. Nous essayons de contacter le Conseil Général qui nous a donné l’autorisation d’occuper la route jusqu’au petit matin.  Nous n’arrivons à joindre personne ce qui est assez logique pour un dimanche matin. Les gendarmes nous conseillent d’appeler les pompiers et inversement.Finalement tous ces petits désagréments sont là pour nous rappeler le privilège que nous avons de faire ce film et que la chance est plutôt de nôtre côté. En effet, dans l’après-midi notre mécano ange gardien et voisin des décorateurs contacte notre loueur de nacelle grâce au contact d’un ami d’un ami. Celui-ci accepte de venir nous dépanner gratuitement quelque peu amusé par notre mésaventure… Un long travelling avec de nombreux figurants se tourne dans le bar « La Fontaine de Saint-Péran » au matin du cinquième jour.  Cet endroit incontournable pour les amateurs de concert punk et de rock alternatif introduit la seconde phase du tournage qui correspond en fait à la première partie du film. Les comédiens qui composent le groupe Norvégien de Black Métal nous ont rejoints et leur première scène se déroule à l’aire de repos du Breil du coq. Dans un souci de réalisme les dialogues ont été écrits en Anglais. Une bonne maîtrise de la langue de Shakespeare ou plutôt celle de Tarantino a été un critère important dans le choix des acteurs. Dans cette séquence, il est question de la voix de Frost, le chanteur inquiétant incarné par Paul Spera, plus exactement de son « growl », grognement glaçant très caractéristique de ces groupes inspirés par la culture païenne et la magie noire. L’enjeu du film est là, « Find The Holy Growl », la quête du growl au cœur de Brocéliande. La journée se passe sans encombre même si nous manquons de nous en prendre pour 7 ans quand le faux miroir utilisé dans le plan des sanitaires se décroche mais ne se brise pas. Au parc d’activités des Noés à Plélan-le-Grand, une pancarte quelque peu étonnante se trouve à l’entrée d’un bâtiment : « Les studios de Brocéliande. » Grâce à la communauté de communes qui nous a prêté ce lieu, cet endroit est devenu notre état major et nous 

3P9A2240avons pu reconstituer un véritable plateau de cinéma. Toutes les séquences se tournent dans le van de Dick, engin au pare-choc en forme de tête de mort qui aurait eu toute sa place dans un Mad Max. Nous sommes au début de l’histoire au moment où notre chevalier du rock raconte sa vie d’errance qui l’a vu transporter de nombreux musiciens à l’intérieur de son véhicule. Des jeux de fumée et des projecteurs sur des rails recréent cette route nocturne qui semble l’emmener vers les ténèbres. Comme prévu, Alexis Grahovac notre chef électro est parti la veille sur un autre tournage. Il a été remplacé par Raphaël qui a tardé à venir pour des problèmes de dos. Seul détenteur de l’équipe du permis poids lourds, il a fallu faire appel à un ami routier pour acheminer notre camion rempli de matériel jusqu’au studio. Le nouveau technicien prend ses fonctions de manière très efficace même s’il semble serrer les dents.  Ne le voyant pas à l’heure du repas du soir, nous commençons à nous inquiéter et allons le voir dans l’un des gîtes des « Chevaliers de la table ronde » où tout l’équipage réside.  Le malheureux 

est victime d’un lumbago et doit être rapatrié d’urgence à Paris. Victime des mêmes maux, Jean Rochefort, sur le Don Quichotte de Terry Gilliam, avait anéanti les dernières illusions de voir le tournage se poursuivre… Les deux dernières journées se tournent principalement sur la quatre-voies reliant Plélan-le-Grand à Guer. Un repérage millimétré a été effectué quelques semaines auparavant avec la Dir Ouest, qui est responsable de ces routes, pour mettre enplace un dispositif de sécurité pendant les prises de vues.Dorian Pirot, machiniste chevronné, fixe la caméra sur le capot ou sur les côtés du van pour des séquences dialoguées. La tension monte quand Arno Gobé notre pilote cascadeur exécute plusieurs embardées. Une séquence sur la zone d’arrêt d’urgence nécessite d’interdire aux automobiles de rouler sur l’une des voies pendant plus de 200 mètres. Le flux permanent des voitures rend ces journées particulièrement éprouvantes car le risque zéro n’existe pas. Sur le plan de travail, il est prévu en plus de tourner des séquences nocturnes. La 7ème nuit est consacrée à la dernière séquence du film dans un champ d’orge du côté de Trébulan. Le van commence à donner des signes de fatigue et son démarrage devient de plus en plus aléatoire. Le dernier soir il faut carrément pousser l’engin pour que le moteur s’enclenche. L’ultime prise est un long plan en caméra embarquée sur la route interminable et vide. Nous arrivons au bout du chemin de ce tournage qui restera inoubliable pour toute l’équipe. Le lendemain au moment du départ, le van ne démarre plus du tout et doit faire un petit tour au garage avant d’être rapatrié. Avec la fatigue, nous n’arrivons plus à ranger tout le matériel dans le camion TSF et devons louer un petit utilitaire pour ramener la caméra à Paris. 14 heures d’images ont été enregistrées pour réaliser ce moyen-métrage de 33 minutes. Un an de travail sera encore nécessaire pour boucler le montage, les effets spéciaux et le mixage. Des techniciens hors pair viendront encore une fois nous épauler et permettront de finaliser le film avec la même exigence technique et formelle malgré le manque cruel de moyens. Ce projet est d’ores et déjà une réussite puisqu’il nous a permis de franchir une nouvelle étape en matière de production cinématographique. L’avenir de ce film passe par les festivals et pourquoi pas les télévisions. Amis lecteurs, nous espérons vous croiser prochainement dans les salles obscures pour découvrir et partager ce projet tellement radieux à nos yeux.

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Sylvain Bresson

Projections prévues dans les cinémas de la région à la rentrée 2015.
Pour nous suivre : http://www.lepetitremorqueur.com

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