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Arts & Mots
8 novembre 2016

Rêves et contes, même urgence ! par Gigi Bigot

[En complément du conte cherokee, Gigi Bigot nous propose ici un article inédit]

 

Vous ne trouvez pas que le conte, c’est passé de mode ?

Ainsi s’exprimait un participant lors d’une table ronde sur le renouveau du conte, il y a de cela une dizaine d’années. Pourtant en rêve, nous continuons de voler sans faire appel à un avion ! Dirait-on pour autant que ce rêve est démodé ? Et quand dans notre sommeil sans âge, il nous arrive de redevenir des Petit Poucet, poursuivis par des monstres si terrifiants que nous ne parvenons ni à courir ni à crier, ne sommes-nous pas dans notre présent ?

Le temps et l’espace du conte constituent bien, comme ceux du rêve, une autre scène, dont beaucoup d’éléments semblent cependant familiers : la maison, le château, le jardin, la forêt, l’étang, y compris, curieusement, les paysages de l’autre monde…1

Pour Etienne Perrot, le traducteur de Jung, les contes sont des rêves élaborés et les rêves, des contes nocturnes. Pour l’anthropologue Geza Roheim, les contes sont probablement issus de récits de rêves.

Nous pouvons dire que la gigantesque structure imaginaire que nous avons édifiée au cours des siècles prend effectivement naissance dans nos rêves, ou plus précisément quand un être humain entreprend de raconter son rêve à un autre, c’est-à-dire dans une situation psychanalytique préhistorique.2

Pour Freud, le rêve est la voie royale qui mène à l’inconscient. Le rêve est un messager. Il fait le facteur entre l’inconscient et le conscient. Il a quelque chose à dire au rêveur. Quelque chose qui le concerne. A bon entendeur, salut !

Ils (les rêves) n’illusionnent pas, ne mentent pas, ne déforment ni ne maquillent ; au contraire, ils annoncent naïvement ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent. 3écrit Jung.

Les hommes n’ont pas attendu que Freud nomme l’inconscient pour utiliser le langage symbolique depuis la nuit des temps notamment à travers les contes.

Rien de ce que la psychanalyse a découvert du psychisme n’est absent du conte4, dit encore le psychanalyste René Kaës.

 

Petit Pierre dort - Juliette Pinoteau

 

Effectivement contes et rêves sont de la même matière. Les deux parlent la même langue, le langage symbolique. Ils mettent en image, en scénario, l’autre face du vécu d’un individu ou d’une société. Ainsi Charlotte Beradt a recueilli trois cent rêves de ses concitoyens pendant la montée du nazisme en Allemagne5 entre 1933 et 1939. Ces créations oniriques montrent bien comment la peur distillée par le régime s’insinuait jusque dans les pensées les plus secrètes.

Ainsi un homme rêve que le coussin dont il recouvre par précaution son téléphone le soir avant de s’endormir « se voit doté d’une langue et témoigne contre lui ». Dans un conte, il est fréquent qu’un objet, flûte, tison ou bûche du foyer dénonce un crime ou un fuyard. Une autre rêveuse sent que tout soncorps se transforme en plomb. « Quand ils viendront (les SS), je leur dirai : les gens en plomb ne peuvent pas se lever ». Dans les contes traditionnels, le héros sera transformé en pierre et dans la langue courante, on dira qu’une nouvelle nous a plombé ou pétrifié.

De ce collectage, on peut tirer deux conclusions : d’une part, une société ou une personne ne se décline pas seulement à travers le factuel ou l’évènementiel. Elle est à appréhender aussi par le prisme de son onirisme, de son inconscient. Deuxièmement on voit que la matière du rêve nous amène aux confins du conte.

 Le conte est semblable au rêve, comme lui, il est tissé d’une multitude d’éléments conscients ou inconscients, de désirs et de peurs, de réminiscences et de préoccupations quotidiennes, sans parler de facteurs ignorés ou mal connus, comme les mystérieux rapports du temps et du rêve.6 

Le mot rêve a deux significations. Soit il est la deuxième vie de chacun, celle qui se met en action à notre insu, quand on dort. Soit c’est l’expression consciente et réaliste d’un souhait : je rêve de vivre en Espagne, je rêve d’un monde en paix, je rêve d’avoir une maison, de faire tel métier etc.

Conscient ou inconscient, il s’agit de désir, ce petit moteur inhérent à la vie sans quoi celle-ci se grippe, tourne à vide. Quand avec les militants d’ATD Quart monde7, nous créons des contes pour dénoncer la misère, nous sommes dans le désir d’un monde meilleur. Nous concrétisons notre rêve, nous disons qu’un autre monde est possible. Pour le décrire et le partager, nous avons recours à la parole symbolique, aux images irréalistes, au merveilleux !

Souvent dans les contes traditionnels, le héros fait un rêve. C’est ce rêve qui va le mettre en route. Alors continuons de rêver et de conter. Quand nous voulons en découdre, nous ne sommes jamais démodés !

 

Gigi Bigot

http://www.gigibigot.fr/

 

1 BELMONT Nicole, Poétique du conte, Editions Gallimard, 1999

2 ROHEIM Géza, Les portes du rêve, Editions Payot, 2000

3 JUNG Carl Gustav, Ma vie, Editions Folio, 1991

4 KAES René, Contes et divans, Editions Dunod, 1984

5 BERADT Charlotte. Rêver sous le troisième Reich. Editions Payot, 2002

6 Luda Schnitzer, Ce que disent les contes, Editions du Sorbier, 2002

7 Agir Tous pour la Dignité. Mouvement d’éducation populaire ayant pour objectif de détruire la misère.

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