Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Arts & Mots
7 septembre 2015

Revue N°2 : la forêt

Forêt, mythe et réalité

 

Il ne s’agit pas ici d’évoquer le milieu sylvestre à travers le prisme des légendes souvent ésotériques qui lui sont accolées, mais du point de vue archéologique et historique, qui remet en cause depuis quelques décennies le mythe des grandes forêts primitives qui auraient recouvert les Gaules, de l’Armorique aux territoires germaniques (La Borderie).

R

 

Dans un imaginaire largement véhiculé par les Romantiques du XIXe siècle, le monde rural du grand ouest a longtemps été fortement prédominé par la forêt, censée recouvrir de ses racines et branches impénétrables autant de terres qu’il a fallu, à partir de l’An Mil, domestiquer et mettre en valeur par de douloureux et coûteux défrichements. L’archéologie nous révèle aujourd’hui que la réalité était tout autre : si le monde sylvestre, inquiétant et contraignant, a certes motivé d’importants chantiers de défrichage à l’époque médiévale, les périodes précédentes (période protohistorique des Gaulois, surtout à l’Âge du Fer) avaient déjà vaincu la forêt impénétrable primitive pour ouvrir les terres à une culture raisonnée et à importante échelle. Par exemple, la prospection archéologique aérienne a montré en Picardie que le territoire était déjà largement défriché et mis en valeur dès avant l’arrivée des Romains (Roger Agache). Ainsi, si les textes certifient de grandes expéditions de défrichage au Moyen Âge, celles-ci ne s’attaquaient pas à une forêt remontant aux premiers âges, mais finalement à une « plus jeune » forêt ayant repris ses droits sur des terres ayant connu précédemment une déprise démographique.

R

Nous apprenons alors que la forêt à l’aspect si ancien et vénérable que nous arpentons lors de randonnées méditatives, n’est née qu’après le départ d’Hommes qui avaient pu cultiver sur ces mêmes terres le blé, l’avoine et parfois la vigne (eh oui, même en Bretagne).

R

 

C’est pourquoi il n’est pas étonnant que certaines prospections archéologiques pédestres ou certains sondages archéologiques révèlent au cœur de forêts que nous croyons sans âge des enclos, des fermes, des élevages, de l’habitat, ou des exploitations minières de matière première comme l’argile à pot, … ce qui excluait pour l’époque qui les concerne un couvert forestier de grande ampleur (JC Meuret). Car il ne faut pas plus d’une cinquantaine d’années pour que la forêt reprenne ses droits. Pour preuve, le château de Rieux (56) : aujourd’hui ses murs en ruine s’élèvent au cœur d’un grand bois à l’aspect ancien, alors que la forteresse n’a été abandonnée qu’au XVIIIe siècle et qu’à l’époque romaine, son territoire portait une agglomération antique tout à fait urbanisée, avec ses temples, ses thermes, ses habitats et ses artisanats (Le Mené, Maître).

En conclusion, si la forêt a toujours suscité son lot de mystères (déjà chez les Gaulois, plus récemment chez les Romains), il semble que nos forêts à nous, celles que nous pouvons connaître intimement et qui se nomment de Brocéliande ou de La Guerche ne sont peut-être pas si anciennes qu’elles le paraissent et ont d’abord impressionné nos tardifs ancêtres médiévaux qui partaient à la reconquête d’un territoire sauvage, mais dont ils avaient oublié la grandeur passée. Ce qui nous laisse d’autant plus humbles devant la force d’une nature qui, si elle sait se laisser domestiquer par nos avancées technologiques, ne tarde pas à reprendre pied dès que nous la laissons libre de toute contrainte.

Maryline Lenouvel Robert Lenouvel – Les Copeaux de Merlin (www.lescopeauxdemerlin.com)

Bibliographie :
LA BORDERIE 1826 : LA BORDERIE (DE) Arthur, Histoire de Bretagne, Tome 1, Plihon et Hommay, Rennes, 1905 (première impression 1826), 589 p.
LE MENÉ 1888 : LE MENÉ Joseph-Marie, « Le temple gallo-romain de Rieux », BSPM, 1888, pp. 189-192 LE MENÉ 1899 (a) : Idem, « Le temple gallo-romain d’Allaire », BSPM, 1899, pp. 17-20
MAÎTRE 1887 (b) : MAÎTRE Léon, « La station gallo-romaine de Rieux-Fégréac », Bulletin de la société archéologique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, n° 46, 1887, pp. 137
MEURET 1993 : MEURET Jean-Claude, Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne (des origines au Moyen Âge), Laval, Société d'archéologie et d'histoire de la Mayenne, 1993, 656 p. AGACHE R. (1962) - Vues aériennes de la Somme et recherche du passé. Bulletin de la Société Préhistorique du Nord, n° spécial 5, 73 pages, 93 fig.; Amiens.
AGACHE R. (1964) - La prospection aérienne sur sols nus et l'inventaire archéologique de la Somme, pp. 49-58, 6 fig. Actes du colloque international d'archéologie aérienne, du 31/08 au 3/09/1963, S.E.V.P.E.N., Paris.
AGACHE R. (1964) - Archéologie aérienne de la Somme. Bulletin de la Société préhistorique du Nord, n° spécial 6, 67 p., 178 fig.
AGACHE R. (1970) - Détection aérienne des vestiges protohistoriques, gallo-romains et médiévaux dans le bassin de la Somme et ses abords. Bulletin de la Société Préhistorique du Nord, Amiens, n° spécial 7, 220 pages, 448 photos.
AGACHE R. (1975) - La campagne à l'époque romaine dans les grandes plaines du nord de la France d'après les prospections aériennes. In : Aufstieg und Niedergang der rômischen Welt, vol. II, n° 4, Walter de Gruyter, Berlin-New-York, pp. 658 à 713, 12 figures, 27 photos.
AGACHE R. (1976) - Les fermes indigènes d'époque pré-romaine et romaine dans le bassin de la Somme. In : Cahiers Archéologiques de Picardie, n° 3, PP. 117-138, 42 fig.
AGACHE R. (1978) - La Somme pré-romaine et romaine d'après les prospections à basse altitude. Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, Amiens, n°24, 515 p., 273 photos, 41 fig.

bucheron 1 scan 

Bûcheron - encre - Béatrice Becker-Roigt

 

 

Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 10 039
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité